Janvier 2005

 
         
         
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Deux mois se sont écoulés, ont filé sans que j'en note grand chose. Et pourtant, il y avait matière ...

Seulement voilà, sans même que cela soit réfléchi, je me suis légèrement repliée sur moi-même, les nouvelles de mon petit univers n'ont pas passé la porte de mon appartement sauf pour de très rares et très intimes.

Il ne s'agissait pas de crainte, de superstition, pas du tout. En partie, cela relevait plutôt d'une incapacité à écrire au jour le jour ce parcours, les émotions qui y étaient liées, les mots me manquaient. Mon rendez-vous avec ma page bleue n'a jamais été une obligation, je ne voulais pas qu'il devienne un casse-tête.

Alors, aujourd'hui quoi dire ? Je ne tenterai pas de résumer ces dernières semaines. Je vais juste me contenter d'en laisser quelques reflets transparaître.

Cela commence, il y a bien des lunes, par ce qui pourrait être un banal lundi matin, au bureau, me trouvant assise sur la lunette des wc, un grand coup au coeur lorsque je vois apparaître les deux lignes mauves parallèles dans la petite fenêtre du test. Je ne pensais tellement pas retomber enceinte aussi vite.

Le soir même, Lepapa à la maison qui, juste après son arrivée, passe un coup de fil et tournoyant dans le séjour découvre sur un fauteuil, au milieu d'un tas de papiers, paquets de kleenex, que je viens de sortir de mon sac, la boite du test de grossesse que je n'ai pas voulu jeter sur mon lieu de travail. Hummpfffff.... pas vraiment la façon dont je voulais lui annoncer.

Depuis,

Une grosse frayeur, le dimanche avant Noël. Saignements et contractions. J'essaie de ne pas paniquer, de ne pas demander à ChagsBral de m'accompagner aux urgences. Je m'allonge et je passe la nuit, agitée, me réveillant quasiment toutes les deux heures, dans l'attente de pouvoir joindre le Dr M puis de foncer à son cabinet pour un examen.

Au résultat, arrêt de travail pendant un mois et l'ordre très strict de me reposer, de passer le plus de temps possible allongée.

Pas de pensées sombres pendant cette période. Un certain fatalisme et surtout l'impossibilité que je ressens, avec un peu de culpabilité, à "m'attacher" à cet enfant en devenir, à ce que je considère encore comme "une promesse de vie".

Au fil de ces semaines, sur le plan physique, le ventre qui se bombe légèrement, la peau de plus en plus sèche. Le ventre et les seins qui se mettent à peler après l'utilisation d'un gel douche lambda. D'où l'utilisation de savon surgras, d'huile et crème riche pour le corps. Des remontées acides qui m'obligent à dormir un peu surélevée avec deux coussins, des nausées non pas dès le réveil (et pas de dégoût lié à des odeurs comme le café par ex) mais avant et après les repas. En fin d'arrêt, l'apparition d'envies de fruits, de salade verte et de poulet au caramel et nouilles sautées.

L'annonce de la nouvelle à papa/belle-mère avant leur départ pour le Texas puisque nous ne passons pas Noël ensemble. Très heureux, bien sûr, comme mes frères. Depuis le repas familial de fête, à leur retour début janvier, mon père, surtout, a très envie de rencontrer Lepapa.

Puis il y a eu la première échographie, des émotions intenses, mes yeux rivés à l'écran, mes yeux un peu embués, les craintes qui font de nombreux pas en arrière. Là, devant moi, les mouvements de mon bébé nettement visibles mais que je ne perçois pas encore, son petit profil, l'assurance qu'il va bien, se développe tout à fait normalement, enfin, qui emplit la pièce, le bruit de son coeur qui bat. Et le mien qui, très perceptiblement à cet instant là, fond d'amour.

Le feu vert final pour reprendre le travail le lendemain. Soulagement car je commençais à tourner en rond à la maison. La vie reprend son cours normal.

A quelques détails près. Hummm... Très régulièrement, en allant me chercher de quoi déjeuner, je salive devant la devanture du Matsuri Sushi, territoire interdit, idem pour la très bonne fromagerie de la rue des Abbesses avec sa devanture de fromages au lait cru. Tenir encore quelques mois ...

Seule à ne pas être au courant, Obaasama. Ma grand-mère, à 96 ans, vient de faire un nouvel accident vasculaire. On a dû lui poser, en urgence, un pacemaker. L'opération s'est bien passée, elle reprend doucement des forces, pensait rentrer chez elle au bout de 2/3 jours mais son médecin retarde encore un peu son retour.

22

Cela faisait un an, quasiment, que j'avais acheté les places, un an que j'attendais, avec un plaisir anticipé non dissimulé, ce concert et que je pensais que rien ne m'empêcherait d'y assister.

C'était avant ... Parce que, très honnêtement, fatiguée par ma semaine de reprise de travail, lorsque je me suis vue attendre ChagsBral devant la station de métro où nous nous étions donnés rendez-vous et que son retard impliquait que nous avions juste le temps de nous rendre à l'Olympia et de grignoter un truc en chemin, sans faire de vraie pause, j'ai bien failli renoncer. Lorsque quelqu'un, habituellement ponctuel, a du retard, j'avoue que cela ne me contrarie pas. Mais ce soir là, je sais pas ... peut être un tour joué par mes hormones, j'étais quasi en larmes lorsqu'il est arrivé. Et puis, c'était trop bête, j'attendais ce concert avec impatience depuis le début de mon arrêt, je savais qu'une fois sur place ce ne serait que du bonheur, alors je me suis secouée.

Et j'ai vite retrouvé le sourire. Aldebert sur scène, je l'ai certainement déjà écrit, c'est que du plaisir.

23

En milieu d'après-midi, alors que j'émergeais d'une courte sieste, un brouhaha tout d'abord lointain puis allant en augmentant s'est fait entendre. De ma fenêtre, j'ai alors aperçu plusieurs rangs de CRS qui passèrent devant l'immeuble pour s'arrêter au bout de la rue bloquant le passage au niveau du boulevard puis les manifestants, qui après une halte imposée afin de calmer les plus virulents en tête de marche, avancèrent jusqu'au barrage et donc se trouvèrent à stationner, hurlant leurs slogans devant notre pâté d'immeubles. Et je dois bien dire qu'au bout de 3 mns 04 sec de ces slogans imbéciles, je n'y ai plus tenu. J'ai ouvert ma fenêtre et je me suis mise à les huer avec autant de voix qu'il m'était possible. Un peu seule au départ puis rejointe par quelques voisins. J'ai pas pu m'empêcher de sourire, ma main toujours le pouce vers le bas, quand ils ont tenté de couvrir nos voix par des chants religieux.

Et puis j'ai refermé ma fenêtre, augmenté le son pour chanter avec Aldebert dans l'appartement, et même si intérieurement je bouillonnais encore un peu, je me sentais nettement mieux et j'ai parlé pour la première fois à mon bébé lui expliquant pourquoi j'avais réagi ainsi.

Non, je ne pouvais pas laisser passer ces pro-life forcenés devant moi sans rien dire. Qu'on me parle d'éducation, de prévention, oui. Mais qu'on cherche à nous ôter le droit de choisir, qu'on puisse un jour, par exemple, nous empêcher de décider une intervention thérapeutique de grossesse ou une femme violée d'avorter ... je ne peux pas l'accepter. Maintenir le droit au choix, oui, oui, oui !

 
         
         
     
     
         
 
   
       
 
         
     
         
     
         
     
         
   
     
         
     
         
     
         
     
         
     
         
     
         
     
         
     
         
   
         
     
         
  Stealing stuff brings bad karma © 2005