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18 Deux mois se sont écoulés, ont filé sans que
j'en note grand chose. Et pourtant, il y avait matière
...
Seulement voilà, sans même que cela
soit réfléchi, je me suis légèrement repliée sur
moi-même, les nouvelles de mon petit univers n'ont pas
passé la porte de mon appartement sauf pour de très
rares et très intimes.
Il ne s'agissait pas de crainte, de
superstition, pas du tout. En partie, cela relevait
plutôt d'une incapacité à écrire au jour le jour ce
parcours, les émotions qui y étaient liées, les mots
me manquaient. Mon rendez-vous avec ma page bleue n'a
jamais été une obligation, je ne voulais pas qu'il
devienne un casse-tête.
Alors, aujourd'hui quoi dire ? Je ne
tenterai pas de résumer ces dernières semaines. Je vais
juste me contenter d'en laisser quelques reflets
transparaître.
Cela commence, il y a bien des lunes,
par ce qui pourrait être un banal lundi matin, au
bureau, me trouvant assise sur la lunette des wc, un
grand coup au coeur lorsque je vois apparaître les deux
lignes mauves parallèles dans la petite fenêtre du
test. Je ne pensais tellement pas retomber enceinte aussi
vite.
Le soir même, Lepapa à la maison qui,
juste après son arrivée, passe un coup de fil et
tournoyant dans le séjour découvre sur un fauteuil, au
milieu d'un tas de papiers, paquets de kleenex, que je
viens de sortir de mon sac, la boite du test de grossesse
que je n'ai pas voulu jeter sur mon lieu de travail.
Hummpfffff.... pas vraiment la façon dont je voulais lui
annoncer.
Depuis,
Une grosse frayeur, le dimanche avant
Noël. Saignements et contractions. J'essaie de ne pas
paniquer, de ne pas demander à ChagsBral de
m'accompagner aux urgences. Je m'allonge et je passe la
nuit, agitée, me réveillant quasiment toutes les deux
heures, dans l'attente de pouvoir joindre le Dr M puis de
foncer à son cabinet pour un examen.
Au résultat, arrêt de travail pendant
un mois et l'ordre très strict de me reposer, de passer
le plus de temps possible allongée.
Pas de pensées sombres pendant cette
période. Un certain fatalisme et surtout
l'impossibilité que je ressens, avec un peu de
culpabilité, à "m'attacher" à cet enfant en
devenir, à ce que je considère encore comme "une
promesse de vie".
Au fil de ces semaines, sur le plan
physique, le ventre qui se bombe légèrement, la peau de
plus en plus sèche. Le ventre et les seins qui se
mettent à peler après l'utilisation d'un gel douche
lambda. D'où l'utilisation de savon surgras, d'huile et
crème riche pour le corps. Des remontées acides qui
m'obligent à dormir un peu surélevée avec deux
coussins, des nausées non pas dès le réveil (et pas de
dégoût lié à des odeurs comme le café par ex) mais
avant et après les repas. En fin d'arrêt, l'apparition
d'envies de fruits, de salade verte et de poulet au
caramel et nouilles sautées.
L'annonce de la nouvelle à
papa/belle-mère avant leur départ pour le Texas puisque
nous ne passons pas Noël ensemble. Très heureux, bien
sûr, comme mes frères. Depuis le repas familial de
fête, à leur retour début janvier, mon père, surtout,
a très envie de rencontrer Lepapa.
Puis il y a eu la première
échographie, des émotions intenses, mes yeux rivés à
l'écran, mes yeux un peu embués, les craintes qui font
de nombreux pas en arrière. Là, devant moi, les
mouvements de mon bébé nettement visibles mais que je
ne perçois pas encore, son petit profil, l'assurance
qu'il va bien, se développe tout à fait normalement,
enfin, qui emplit la pièce, le bruit de son coeur qui
bat. Et le mien qui, très perceptiblement à cet instant
là, fond d'amour.
Le feu vert final pour reprendre le
travail le lendemain. Soulagement car je commençais à
tourner en rond à la maison. La vie reprend son cours
normal.
A quelques détails près. Hummm...
Très régulièrement, en allant me chercher de quoi
déjeuner, je salive devant la devanture du Matsuri
Sushi, territoire interdit, idem pour la très bonne
fromagerie de la rue des Abbesses avec sa devanture de
fromages au lait cru. Tenir encore quelques mois ...
Seule à ne pas être au courant,
Obaasama. Ma grand-mère, à 96 ans, vient de faire un
nouvel accident vasculaire. On a dû lui poser, en
urgence, un pacemaker. L'opération s'est bien passée,
elle reprend doucement des forces, pensait rentrer chez
elle au bout de 2/3 jours mais son médecin retarde
encore un peu son retour.
22
Cela faisait un an, quasiment, que
j'avais acheté les places, un an que j'attendais, avec
un plaisir anticipé non dissimulé, ce concert et que je
pensais que rien ne m'empêcherait d'y assister.
C'était avant ... Parce que, très
honnêtement, fatiguée par ma semaine de reprise de
travail, lorsque je me suis vue attendre ChagsBral devant
la station de métro où nous nous étions donnés
rendez-vous et que son retard impliquait que nous avions
juste le temps de nous rendre à l'Olympia et de
grignoter un truc en chemin, sans faire de vraie pause,
j'ai bien failli renoncer. Lorsque quelqu'un,
habituellement ponctuel, a du retard, j'avoue que cela ne
me contrarie pas. Mais ce soir là, je sais pas ... peut
être un tour joué par mes hormones, j'étais quasi en
larmes lorsqu'il est arrivé. Et puis, c'était trop
bête, j'attendais ce concert avec impatience depuis le
début de mon arrêt, je savais qu'une fois sur place ce
ne serait que du bonheur, alors je me suis secouée.
Et j'ai vite retrouvé le sourire.
Aldebert sur scène, je l'ai certainement déjà écrit,
c'est que du plaisir.
23
En milieu d'après-midi, alors que
j'émergeais d'une courte sieste, un brouhaha tout
d'abord lointain puis allant en augmentant s'est fait
entendre. De ma fenêtre, j'ai alors aperçu plusieurs
rangs de CRS qui passèrent devant l'immeuble pour
s'arrêter au bout de la rue bloquant le passage au
niveau du boulevard puis les manifestants, qui après une
halte imposée afin de calmer les plus virulents en tête
de marche, avancèrent jusqu'au barrage et donc se
trouvèrent à stationner, hurlant leurs slogans devant
notre pâté d'immeubles. Et je dois bien dire qu'au bout
de 3 mns 04 sec de ces slogans imbéciles, je n'y ai plus
tenu. J'ai ouvert ma fenêtre et je me suis mise à les
huer avec autant de voix qu'il m'était possible. Un peu
seule au départ puis rejointe par quelques voisins. J'ai
pas pu m'empêcher de sourire, ma main toujours le pouce
vers le bas, quand ils ont tenté de couvrir nos voix par
des chants religieux.
Et puis j'ai refermé ma fenêtre,
augmenté le son pour chanter avec Aldebert dans
l'appartement, et même si intérieurement je
bouillonnais encore un peu, je me sentais nettement mieux
et j'ai parlé pour la première fois à mon bébé lui
expliquant pourquoi j'avais réagi ainsi.
Non, je ne pouvais pas laisser passer
ces pro-life forcenés devant moi sans rien dire. Qu'on
me parle d'éducation, de prévention, oui. Mais qu'on
cherche à nous ôter le droit de choisir, qu'on puisse
un jour, par exemple, nous empêcher de décider une
intervention thérapeutique de grossesse ou une femme
violée d'avorter ... je ne peux pas l'accepter.
Maintenir le droit au choix, oui, oui, oui !
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